mercredi 19 février 2020

Conférences Samedi 29 février 2020

14h30-18h00, Inalco, 65 rue des Grands Moulins, salle 5.12


Macha SPOEHRLE (Université de Genève / Université de Tôkyô)

« Réflexions sur l’interprétation du musubi par ORIKUCHI Shinobu 折口信夫 »


Le travail d’Orikuchi Shinobu (1887-1953) s’inscrit dans un courant d’études qui relie la philologie, l’étude de la littérature et des mythes, dans une perspective rappelant parfois celle des penseurs nativistes d’Edo. L’éclectisme apparent de son œuvre, théorique et romanesque, et des disciplines qu’il aborde ne rend, selon nous, pas compte de la cohérence des questionnements qui l’animent. Cette communication se propose d’en étudier un aspect à travers le concept de musubi.
Orikuchi n’est pas le premier à avoir remarqué la place particulière des divinités du musubi et tenté de leur donner un sens. On remarque qu’il suivit ainsi le travail de Motoori Norinaga (1730-1801), ou encore, qu’il emprunta des concepts à Suzuki Shigetane (1812-1863). Mais ce qui démarque Orikuchi est son interprétation de la nature et du fonctionnement des rites (chinkon ou tamafuri). Selon la critique actuelle, celle-ci contient des arguments capables de renverser certaines idées fondatrices du shintô d’Etat, comme le culte des ancêtres, ou encore la nature par essence divine de l’empereur.
Le propos d’Orikuchi paraît à première vue contradictoire, si l’on observe l’évolution de son discours sur le shintô et les religions ou croyances dites indigènes de l’archipel, avant et après la défaite de 1945. Dans sa lecture des textes et des poèmes du VIIIème (Kojiki (712), Nihonshiki (720), Man’yôshû (compilé fin VIIIe)) il considère généralement les croyances de l’archipel comme relevant du polythéisme, voire du panthéisme. Pourtant, cette « myriade de dieux » est précédée de divinités, dites solitaires, qui ont pour « fonction unique d’insuffler une âme à toute chose ». Ainsi, le 23 juin 1946, lors d’une allocution radiophonique, Orikuchi affirme que la croyance du musubi et les rites qui l’accompagnent (chinkon) sont issus d’un principe unique et donc une expression indigène de « monothéisme », force unificatrice dans lequel le shintô devrait puiser son énergie pour faire face aux défis à venir. (« Nouvelles directions du Shintô », Shintô no atarashii hôkô, 1946). Or, nous supposons que sa thèse du musubi n’est pas réductible à une  réponse aux bouleversements idéologiques qui suivirent la défaite de l’empire du Japon.
Nous verrons que son étude de la succession impériale lors du rite d’intronisation (Daijôsai no hongi, 1928) comporte des similitudes avec son interprétation du musubi, concernant l’origine et le fonctionnement de l’âme (impériale) et son rapport au corps. Le lien (musubi) entre le spirituel et le corporel y est assuré par un medium, la miko (chamane, vestale), qu’Orikuchi étudia lors de travaux ethnographiques à Okinawa (1921, 1923). Or, la miko chez Orikuchi apparaît tour à tour sous les traits d’une conteuse (kataribe), d’une concubine de l’empereur ou de l’impératrice elle-même. Ces figures constituent un leitmotiv, qui apparaît tant dans ses études que dans ses romans. Nous analyserons le rapport entre le musubi, en tant que principe générateur d’âme à toute chose, et la production littéraire, en particulier dans l’étude de la « Genèse de la littérature japonaise (nationale) » (1924-27).

SUZUKI Hirofumi (Université de Paris / Inalco)
« Mythologie en période de crise : Recherche sur la conception de shinwa 神話 au carrefour de l’historiographie et de l’idéologie nationaliste »

Communément, on affirme que l’idéologie nationaliste du kokutai aurait eu une influence constante et durable depuis Meiji jusqu’à l’immédiate après-guerre et que, sous cette influence, les études scientifiques et objectives relatives aux Kojiki et Nihon shoki qui relevaient d’un certain tabou, n’auraient pu beaucoup se développer. Contrairement à cette idée reçue, nous entendons démontrer que la science des mythes occidentale appliquée aux textes japonais a contribué sous certains aspects au développement de cette idéologie nationaliste. Ce constat nous permettra de d’analyser d’un nouvel œil cette idéologie et démontrer que le kokutai n’est pas figé et a varié historiquement. À cette fin, nous proposons une étude axée autour de l’année 1910 comme point de basculement dans le caractère de cette idéologie.